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l’âme du Maroc

L’urbanisme de l’ancienne médina de Fès. Du XVIIe au début du XXe siècles

La consultation du plan topographique de la ville de Fès permet de constater l’existence de deux entités urbaines distinctes : l’ancienne médina et la ville moderne. La première, comprend le « Fès el-Bali » et « Fès Jdid », fondées respectivement sous les Idrissides, et à l’époque mérinide.

La seconde, connue localement par « Dar Dbagh », fut créée avec l’instauration du Protectorat français au Maroc.

C’est à partir de l’époque mérinide que l’on peut restituer avec le maximum de détails les limites urbaines de la médina de Fès et l’architecture de ses différents genres de constructions (mosquée, fondouk, madrasa, maison, etc.). Cette connaissance est due aux renseignements que nous fournissent les sources écrites (tels Rawd al-Qirtās d’Ibn Abī Zar‘ al-Fassi, et Zahrat al- s d’al-Djaznaï rédigés au XIVe siècle), ainsi que les quelques monographies et études contemporaines consacrées à l’histoire des monuments de l’époque à l’instar de l’ouvrage publié en 1989 par J. Revault et son équipe au sujet des « Palais et demeures de Fès ».

Bien que la ville de Fès ait perdu son rang de capitale au profit de Marrakech avec les Sa‘adiens (XVIe siècle), elle a vu la naissance de nouvelles zones d’habitation « intra-muros » et a surtout connu, l’élévation de fortifications importantes comme les borjs Nord et Sud, qui témoignent de par la disposition de leur plan, du développement des techniques de défenses faisant de plus en plus appel aux armes à feu.

L’espace construit de la médina est le résultat d’une évolution constante des techniques de construction et de décoration développées sur une période de plus de dix siècles. La dernière phase de l’évolution de cet espace se place à l’époque alaouite. Les renseignements dont nous disposons restent cependant très lacunaires et, les recherches qui lui ont été consacrées étaient liées, dans leur majorité à une opinion communément admise faisant attribuer la ville, le Fès el-Bali en particulier, par ses spécificités organisationnelles et ses composantes architecturales majeures, à l’époque médiévale, en l’occurrence, la période du règne de la dynastie mérinide.

La ville ancienne de Fès (d’une superficie de 320 hectares), avec ses deux entités majeures (Fès el- Bali et Fès Jdid), se compose certes de structures et de formes architecturales et spatiales remontant à des époques différentes. Mais, nous estimons aussi qu’elle fait état d’une conception toujours renouvelée dans la configuration et l’organisation des espaces, urbain et architectural.

Pour en dégager les grandes lignes, il faudrait passer en revue les principales explications des historiens sur l’urbanisme traditionnel de la médina avant d’essayer d’appréhender l’organisation de l’espace bâti au cours des derniers siècles de son histoire (jusqu’au Protectorat).

L’urbanisme de la médina selon les sources écrites et les recherches contemporaines

Les chroniques historiques consacrées à la médina de Fès révèlent certains aspects de son urbanisme traditionnel, et parfois les particularités de son architecture. Pourtant, à caractère fragmentaire et superficiel, cette documentation ne saura seule nous permettre de traiter en profondeur le thème abordé.

En effet, al-Ya‘acūbi, le plus ancien des géographes arabes (mort en 284 H. / 897 ap. J.-C.), rapporte que la ville fut composée de deux rives séparées par un fleuve.

Pour sa part, Ibn Hawqal (qui a visité l’Occident musulman vers 340 H. / 951 ap. J.-C.) insiste dans son récit sur la répartition ingénieuse des eaux de l’oued Fès dans la ville sans pour autant en donner de détails.

Au XIe siècle, le géographe andalous al-Bakri (mort en 487 H. / 1094 ap. J.-C.), parle aussi de deux villes séparées par une rivière. Il détermine les noms des portes qui percent chacune des enceintes qui les entourent et, en évoquant l’existence de plusieurs équipements urbains (moulins, bains, et canalisations), donne une brève description des deux grandes mosquées al-Qarawiyyine et al-Andalous.

La Nuzhat al-Muchtāq d’al-Idrissi (mort en 564 H. / 1160 ap. J.-C.) ajoute peu de choses à ces informations.

Mais, elle insiste notamment sur l’abondance des eaux dans la rive des Kairouanais et évoque, pour la première fois, quelques éléments du décor des édifices (les fontaines publiques) et leur beauté.

La description que rapporte le géographe syrien al-‘Omari (mort en 749 H. / 1349 ap. J.-C.) dans ses Massālik comprend cependant de précieuses informations sur l’urbanisme de Fès Jdid qui fut subdivisé en trois grands espaces urbains entourés de remparts et de jardins (au nord). Al-‘Omari passe aussi en revue les édifices urbains de la ville idrisside (moulins, mosquées, bains, madrasas, etc.). La description qu’il rapporte des grandes demeures qui s’y trouvent nous aide à cerner à la fois leurs particularités architecturales et les matériaux et techniques de construction et de décor mis en profit dans la ville au début du XIVe siècle.

Ibn Abī Zar‘ al-Fassi revient aussi dans son Rawd al-Qirtās (rédigé en 726 H. / 1325 ap. J.-C.) sur le tracé de la première enceinte de Fès et les portes urbaines qui y ont été ouvertes. Mais il relate surtout le nombre des différentes constructions urbaines de la ville sous les Almohades et les Mérinides, en octroyant un intérêt particulier à l’architecture des deux grandes mosquées d’al- Qarawiyyine et al-Andalous.

Pour sa part, la Zahrat al- s d’al-Djaznaï retrace l’histoire de Fès depuis sa fondation jusqu’en 766 H. / 1365 ap. J.-C. Son deuxième chapitre rapporte des informations précises sur les modifications successives qui ont affecté le tracé des remparts, ainsi qu’un recensement des équipements urbains sous l’Almohade al-Mansūr et son fils an-Nāsir, avec une large description de l’architecture des deux grandes mosquées de vendredi de la ville.

Dans sa chronique, Jean Léon l’Africain relate (au XVIe siècle) l’histoire de la fondation de la ville de Fès, sa configuration urbaine générale sous les Zénètes, et l’unification de ses deux rives à l’intérieur d’une seule enceinte par Yūsuf ibn Tachfine. Il rapporte ensuite une description importante des différents types de constructions dont font partie des mosquées, des médersas, des moulins hydrauliques, des marchés et boutiques, les maristans, les étuves (hammams), et surtout les funduqs et les maisons d’habitation.

Dans son ouvrage intitulé ad-dourar al-fākhira, rédigé au début du XXe siècle, Ibn Zaydān énumère dans les moindres détails tous les édifices qui ont été édifiés et/ ou restaurés ou rénovés à Fès depuis l’instauration du pouvoir de Moulay Rachid jusqu’au règne du sultan Mohamed V. Parmi ces constructions figurent de nombreux équipements urbains et fortifications qui étaient relatés dans les chroniques anciennes.

La monographie de la médina de Fès publiée par R. Le Tourneau en 1949, Fès avant le Protectorat, y fait aussi fréquemment allusion. En plus de la documentation riche et variée qu’il recèle sur l’histoire de la ville et sur son urbanisme traditionnel, cet ouvrage donne essentiellement un état des lieux de la médina au XIXe siècle et début XXe siècle. Pour Le Tourneau, les opérations qui ont le plus modifié la physionomie de la ville se rapportent à la réunification de ses deux rives (celle des Kairouanais et celle des Andalous) sous les Almoravides ainsi que la fondation de Fès Jdid à la fin du XIIIe siècle.

Par ailleurs, dans l’analyse qu’il fait de la trame urbaine historique, Le Tourneau, à l’instar des premiers théoriciens des villes arabo-musulmanes (J. Sauvaget, G. et W. Marçais…), semble partir de jugements préétablis qui restent loin de la réalité. A titre d’exemple, son point de vue à propos de la voirie qu’il considère comme un phénomène né du hasard ou dicté par de simples considérations historiques et foncières qu’il ne précise d’ailleurs pas.

Dans le même sens, l’auteur a souvent insisté sur l’existence dans la ville arabo-musulmane d’un centre historique constitué, ici à Fès, par la mosquée al-Qarawiyyine et les souks mitoyens (notamment la qissariya). L’absence d’un noyau similaire à Fès Jdid, selon Le Tourneau, lui ôte la qualité de ville musulmane proprement dite. Dans les études consacrées au tissu urbain ancien de la ville, les orientalistes se sont souvent référés à des exemples de villes occidentales, gallo-romaines notamment. C’est ainsi que E. Wirth (en 1993), en se basant sur sa connaissance apparemment superficielle de la culture et des traditions arabo-musulmanes à Fès, et en procédant à une lecture hâtive de l’espace urbain de la ville, considère la vie privée comme une dominante essentielle dans la médina. Il insiste sur la qualité des « édifices privés » (élevés par des particuliers) des fondations à destination publique et néglige l’apport décisif de l’institution des Habous dans leur gestion et parfois même dans leur conception en tant qu’équipements urbains collectifs (publics).

D’autant plus, comme pour J. Berque (en 1953), E. Wirth détermine le centre d’activité publique (économique et religieux) de la ville dans le seul secteur de la Grande mosquée Qarawiyyine et les grands axes de communication. En revanche, les zones ayant cette spécificité étaient en réalité plus étendues et témoignent d’une organisation rigoureuse (au niveau des plans comme au niveau des fonctions) et souvent rationnelle (installation de l’artisanat polluant auprès de la rivière par exemple).

Ces différentes approches d’analyse urbaine restent lacunaires et sont plusieurs fois sujettes à caution. Elles ont été souvent véhiculées par des idées et des opinions préconçues, appliquées à toutes les villes musulmanes d’Orient et d’Occident (Tunis, Damas, Alep, etc.).

Caractéristiques urbaines de Fès el-Bali

Ces sources et ces études offrent une image qui évolue constamment. Elles font preuve aussi que la médina de Fès, vieille de plus de douze siècles, a conservé des bâtisses et des formes organisationnelles urbaines très anciennes qui ne sont pas aisément identifiables. Pratiquement toutes ses composantes ont été assimilées et intégrées à l’espace bâti de la ville alaouite. Cela se voit dans la toponymie pré-alaouite qui continue à exister en médina.

Pour mieux appréhender les caractéristiques de cet espace urbain historique, nous allons passer en revue ses principales composantes à l’époque alaouite, au cours de laquelle il y a lieu de distinguer deux étapes essentielles marquées, l’une par la stagnation voire même la régression des activités liées à l’urbanisation dans la ville, l’autre par le développement urbain de la ville.

La première période coïncide en effet avec la phase des troubles « politiques » et sociaux ainsi que les luttes intestines qu’a connues la ville avec le déclin des Sa‘adiens, au début du XVIIe siècle.

La seconde période, s’étendant de l’établissement du règne de sidi Mohamed Ben ‘Abdallāh jusqu’à l’instauration du Protectorat, marque en revanche une étape où évoluent et progressent concrètement les limites du tissu urbain bâti. Cette situation est essentiellement le résultat de la consolidation du pouvoir du Makhzen et de l’apparition, au XIXe siècle, d’une classe sociale « bourgeoise » constituée des grandes familles commerçantes et des familles makhzen.

À ces deux étapes coïncident également deux subdivisions spatiales différentes de l’espace urbain de la cité. Pendant la première étape, une division tripartite avec trois grandes entités désignées par « ‘Adwa »: La ‘Adwa d’al-Qarawiyyine composée des deux ‘Adwas d’« al-Andalous » et « al-Lamtiyine », et la rive des Andalous désignée par « al-‘Adwa ». Les limites précises entre les deux premières ‘Adwas restent à leur tour sujettes à caution.

Chacune des « ‘Adwas » était composée d’un certain nombre de quartiers dont les noms précis, remontant au-delà du XVIIIe siècle, ne sont pas bien connus. C’est ainsi que sous Moulay Isma‘īl (1672-1727), M. al-Qadiri attribue à la ‘Adwa des Andalous dix quartiers (sans pour autant en citer les noms), à celle d’el-Lamtiyine huit quartiers, et six « hawmas » seulement à la «‘ Adwa ».

La seconde subdivision correspond à la mise en place de dix-huit quartiers «officiels » (al-Mekhfiya, Sidi al-‘Aouad, Lakouas, Lagzira, darb Cheikh, al-Keddan, Lablida, Sagha, Fondouk Lihoudi, Zouqāq Rommāne, Cherabliyine, Souiqt Ben Safi, Laāyoun, Ras Jenan, al-Kalkliyine, al-Qettanine, Guerniz et Talāa) composés chacun de plusieurs fractions de quartiers ou ce que nous pouvons désigner par les « quartiers élémentaires », dont les dénominations remontent généralement à une époque ancienne, pré-alaouite. Les limites des quartiers restent pour leur part imprécise.

La consultation du plan topographique de Fès el-Bali fait état d’une juxtaposition étroite et désordonnée d’une multitude de cellules unitaires. La lecture et l’analyse de ses diverses composantes révèlent en revanche une organisation préconçue de l’espace urbain que vient délimiter un système défensif complexe. Cette organisation spatiale devait généralement s’articuler selon une subdivision en deux espaces différents: une aire marquée par la prééminence des activités économiques (commerciale et artisanale) et un espace résidentiel. Des quartiers périphériques combinent parfois les deux fonctions.

L’opposition entre ces espaces devait être nettement illustrée par un réseau de voirie très fortement contrasté. Un système hydraulique complexe et ingénieux avait joué, plusieurs siècles déjà avant l’avènement des Alaouites, un rôle décisif dans l’évolution des activités socio-économiques de la ville mais surtout de son urbanisme.

Le système défensif urbain

Une remarque principale qui surgit de l’étude de l’histoire des remparts de Fès est le fait qu’ils avaient, dans leur ensemble, préservé leur tracé ancien, depuis sa conception sous les Almohades jusqu’au début du XXe siècle. Ces bâtisses de pisé n’avaient jamais cessé de jouer leur rôle traditionnel combinant la protection de l’espace urbain et sa délimitation. La plupart des grandes portes qui les percent avaient ainsi conservé leurs dispositions et dénominations originales (Bāb Ftuh, Bāb Ajissa, Bāb Jdid, Bāb Lahdid, etc.).

Dans des réactions menées au profit de la cité comme à son encontre, les remparts étaient le plus souvent impliqués; ils incarnent en quelque sorte l’unité et l’homogénéité à la fois sociale et urbaine de l’agglomération.

À ce titre, les différents aménagements urbains, qu’ils soient des oeuvres architecturales ou des espaces verts (des jardins), ne pouvaient avoir « droit de cité » que s’ils étaient compris à l’intérieur d’une enceinte. Un principe pour lequel opta déjà au Xe siècle le Zénéte Dounas lorsqu’il « entoura de murs tous les faubourgs de tous les côtés de sorte que Fès devient une seule ville » (Al-Djaznaï). Mais, ce fut également l’objectif de Moulay Hassan I qui réalisa l’extension du palais royal vers l’Ouest de Fès Jdid, et éleva la muraille qui s’étendait des abords de borj Cheikh Ahmed au Bāb Lahdid et ce en vue de conférer aux palais et jardins qu’il créa aux zones de Boujloud et al-Batha l’allure d’une extension géographique et urbaine de Fès el-Bali. Son souci était d’autant plus, comme pour Moulay Slimane, de réunir Fès Jdid et Fès el-Bali en une seule cité.

Cela dit, les fortifications créés à l’extérieur des remparts de la ville (tels le borj Nord ou la casbah des Cherardas par exemple) ont continué de remplir un rôle défensif (de la part des nationalistes) même à l’époque tardive du Protectorat.

Le système de voirie

La lecture du réseau viaire de Fès el-Bali nous fournit de riches enseignements sur la géographie des activités économiques (leur centralité et concentration sur les axes) et la configuration générale des différents espaces d’habitation (des impasses et quartiers résidentiels autonomes).

La topographie du terrain devait avoir certes, dès la fondation de la ville, une influence capitale sur le tracé de son système viaire. C’est ainsi que les grands axes de liaison (Tal‘a kbira, Tal‘a sghira), en suivant la pente, gagnent plus de régularité, plus d’espace en largeur et facilitent le déplacement des personnes et des marchandises.

Les impasses, parfois longues et tortueuses, avaient de leur part constitué un moyen efficace pour desservir les maisons élevées sur des terrains fortement accidentés. Leur évolution en profondeur, au centre urbain de la ville (à proximité de la mosquée Qarawiyyine et le mausolée de Moulay Idris) et à proximité de la médersa Bū ‘Ināniya, témoigne de la survivance d’un découpage foncier ancien (pré-alaouite). C’est le cas par exemple du «darb Sba’ louyate» dont la dénomination, encore en usage de nos jours, fut également utilisée pour désigner une «impasse à sept détours» dans les villes andalouses de Malaga, Séville et Tolède à la seconde moitié du XVe siècle. Les habitations qui s’y localisent avaient été, en effet, dans leur majorité bâties par les marchands, fuqāhā et ‘ulama qui avaient eu le besoin mais aussi le privilège de s’installer au voisinage de leur commerce et auprès des grandes bâtisses religieuses de la ville.

Des contraintes socio-culturelles avaient aussi concrètement agi sur le tracé viaire de Fès el-Bali. À cet effet, des rues secondaires avaient revêtu l’allure d’une sorte de prolongement approprié des maisons « dont elles contribuent à préserver l’intimité par des dispositifs de filtrage tels que chicane, resserrements et portes » . Elles peuvent par extension être considérées comme un domaine semi-public où peuvent se déplacer, cohabiter et communiquer les habitants de quartiers voisins.

Zones d’activités économiques

La centralité des activités économiques est un fait urbain qui a concrètement marqué le plan de Fès el-Bali au cours de l’époque alaouite. Déjà sous les Sa‘adiens, la plupart des boutiques recensées dans la ville se localisaient, selon M. Mezzine, sur la rive des Kairouanais. Elles incombent aussi dans leur majorité aux habous de la Grande Mosquée et des madrasas qui la côtoyaient.

L’édification de bâtiments religieux et socio-culturels (mosquées, madrasas, maristanes, observatoires...) au centre de la médina et l’implantation de souks et de funduqs à leur voisinage immédiat traduisent un souci évident d’organisation et de planification urbaines que la médina de Fès devait préserver sous les Sa‘adiens mais aussi tout au long de l’époque alaouite.

Les activités économiques étaient localisées à partir du centre suivant une hiérarchie spatiale qui reflète leur importance relative. Les métiers les plus estimés (commerce de tissus importés, de la soie...) étant placés le plus près de la Grande Mosquée.

Par ailleurs, les places commerçantes de ce centre devaient fort probablement abriter, sous les Alaouites, des festivités culturelles diverses.

Dans sa configuration générale, l’espace central de Fès faisait état d’une liaison étroite avec l’oued Fès qui, une fois encore, y offre des conditions favorables à l’épanouissement des activités économiques. Plusieurs types de métiers artisanaux (ferronnerie, cordonnerie, maroquinerie, etc.) y prenaient jour, exception faite pour celles qui génèrent la dégradation du milieu urbain et nuisent aux habitants. Celles-ci étaient intentionnellement placées à la zone « périphérique » Est de la ville.

Les zones de résidence

La disposition de l’espace résidentiel de l’ancienne médina était généralement commandée par sa structure économique. Placé au centre urbain, sur les axes de liaison ou dans des quartiers voués à la résidence, les habitations devaient toutes côtoyer les équipements urbains susceptibles de faciliter les conditions de vie de la population.

L’oratoire est l’élément essentiel qui se place dans pratiquement tous les « quartiers élémentaires » abritant des habitations. Cette omniprésence relève, selon les sources écrites (comme le Rawd al-Qirtās), d’une tradition inaugurée à Fès depuis les Almoravides.

Les quartiers voués à la résidence revêtent, sous les Alaouites, le caractère d’un espace communautaire; ils devaient néanmoins abriter quelques impasses privées occupées par des groupements familiaux restreints (darb Drissiyine par exemple) où les principes de construction assurant l’intimité de la famille et la discrétion de la vie privée (chicane, façade extérieure aveugle, etc.) étaient toujours respectés.

On faisait aussi souvent appel, dans l’édification des demeures de la médina, aux techniques anciennes de l’exploitation de l’espace (sabat, encorbellement, saillie, etc.). En revanche, à proximité des quartiers traditionnels, au Nord-Est, à l’Est et au Sud de la ville, l’espace vert a été de plus en plus envahi par les demeures spacieuses (riyads) des notables (Dār Batha, Dār Bayda’, etc.) annonçant la prédilection pour construction horizontale et le recul du modèle traditionnel des demeures élevées en étages.

Le système hydraulique urbain

Dans l’exploitation des eaux abondantes de l’oued Fès et des différentes sources jaillissant à Fès el-Bali, les Alaouites ont généralement oeuvré pour la conservation d’un système établi dans son ensemble par leurs prédécesseurs. Bien plus, on était contraint de procéder, chaque fois qu’il y a eu des accaparements ou des défaillances au niveau de la répartition des eaux, à faire respecter la situation ancienne et de se limiter à rapporter les réfections « techniques » qui s’imposaient.

L’abondance des eaux devait avoir certes un apport décisif dans la desserte de presque toutes les zones urbaines de sorte que la majorité des édifices et espaces puissent en profiter. Mais elle constituait vraisemblablement aussi l’un des facteurs essentiels qui ont contribué à la prospérité des activités économiques et urbanistiques, particulièrement dans l’Adwa des Kairouanais.

Caractéristiques urbaines de Fès Jdid

Construite par Abū Yūsuf Ya‘qūb, (Vers le 03 chaoual 674 H. / 21 - 22 Mars 1276 J. C.) selon des directives précises et un plan établi au préalable, Fès Jdid (ou la ville blanche) nous dit A. Ibn Khaldūn, a été spécialement destinée à « l’habitation du sultan, de sa suite, de ses serviteurs et des personnes qui supportent le poids de l’empire. Il fit donc construire la ville neuve, tout près de Fès, au bord de la rivière qui traverse cette ville, sur son cours supérieur ».

L’emplacement choisi pour la nouvelle cité devait en outre permettre de contrôler le passage vers le col de Taza et de prévenir toute menace extérieure.

À l’époque mérinide, la ville royale comprenait, selon A. el-‘Omari (dans ses Massālik al-absār) : – Le palais sultanien fondé par Abū Yūsuf Ya‘qūb ;
– Hims, le logis des troupes andalouses, construit par Abū Sa‘īd ‘Uthman sur un lieu dit el- Mellah;
– Le faubourg de la garde chrétienne (Rabad en-Nasāra) qui est au service du sultan et qui fut « installée hors de Fès dès 1250 J. C. ».

Néanmoins, à la lumière des renseignements fournis par les sources anciennes, M. Manouni subdivise la «ville blanche» en trois autres zones dont la première comprend le palais et ses annexes, la seconde renferme les camps militaires et la dernière est constituée de la ville et ses dépendances intérieures.

Cette disposition a dû cependant subir de profondes modifications notamment au cours de l’époque alaouite.

L’étude de la topographie urbaine de Fès Jdid et les conditions générales de son évolution sous les Alaouites nous a permis de constater que les différentes entités de cette agglomération (le Palais et ses dépendances, le quartier de Fès Jdid, le quartier de « Moulay ‘Abdallāh » et, le Mellah) étaient, dans leur majorité, comprises à l’intérieur des remparts mérinides.

Les limites de la ville neuve n’avaient en effet pas connu de modifications importantes au cours de l’époque alaouite. L’extension que nous pouvons y relever avait concerné, à la fin du XIXe siècle, le palais qui comprenait dès lors de nouveaux méchouars (ceux de Saulty et Bū Lakhssissat) et le vaste jardin de l’Agdal. Un autre méchouar vient côtoyer au Nord la fabrique d’armes (la Makina) hassanite qui lui donne son nom.

Bien qu’en nombre limité, les équipements urbains (les mosquées notamment « Al-Masjid al- ‘Adam » et la mosquée « Lalla Zhar » par exemple) existant aux quartiers de Fès Jdid et Moulay ‘Abdallāh à l’époque alaouite remontent dans leur majorité à l’époque mérinide.

Il en est de même pour la grande artère commerçante reliant les deux portes Bāb Sba‘ et Bāb Semmarine datant aussi de l’époque de la fondation de la cité gouvernementale et remaniées à la fin du XIXe- début XXe siècle.

Tout de même, la majorité des habitations des deux grands quartiers de la ville neuve ne revêtent généralement aucune valeur architecturale ou patrimoniale particulière. Celles qui font l’exception (dar Ghnima, dar el-Haj Brik, dar al-Hajib al-Malaki, dar al-Bacha Faraji) furent en possession de dignitaires ou de hauts fonctionnaires du Makhzen.

Le mode de construction et d’organisation de l’espace urbain à «Fès Jdid» et «Moulay ‘Abdallāh» (qui se peupla à partir du XVIIIe siècle) témoigne, à notre sens, d’une rupture avec les traditions architecturales et urbaines (techniques et matériaux de construction et d’ornement) qui ont survécu à Fès el-Bali depuis au moins les Mérinides jusqu’au début du XXe siècle.

La dite rupture s’était vraisemblablement accentuée entre le début du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, c’est-à-dire au cours de la période où les deux quartiers durent abriter successivement et alternativement les troupes des Oudayas, des ‘Abids ainsi qu’une population (temporaire et instable) en provenance de l’extérieur de la ville et implantée aux chemins de ronde de l’enceinte mérinide.

Il en résulte ainsi la dislocation progressive du cadre urbain ancien de la ville royale mérinide et post-mérinide dont il ne reste que de rares témoins architecturaux et toponymiques (les mosquées: al-Bayda’, al-Hamra, al-Hajar, al-‘Abbasiyine, et Habs Zebbala).

Pour ce qui est du Mellah, il connaissait à partir du XVIIe siècle, des périodes successives d’instabilité.

La surface qu’il occupa devait par voie de conséquence connaître des périodes d’extension et de recul dont on ne peut retracer les grandes lignes. En fait, nous connaissons que le quartier juif de Fès couvrait, avant 1792, l’actuelle «place des Alaouites», mais nous ne disposons d’aucune source documentaire susceptible de déterminer la nature des constructions qui y ont été élevées.

Par ailleurs, les indications fournies par le Yahas Fas, sur les rues et maisons du Mellah vers 1879, font état d’un espace urbain sensiblement plus réduit et plus exigu que celui qu’occupe le quartier actuel remontant, selon R. Le Tourneau, à la fin du XVIIIe siècle.

Seule une enquête systématique basée sur l’étude de la documentation ancienne, notamment celle en possession de particuliers, et des monuments anciens du Mellah, pourra éventuellement nous apporter de plus amples renseignements sur les principales étapes de l’évolution de l’espace urbain de ce quartier au cours de l’époque alaouite.