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l’âme du Maroc

Les madrasas et leur rôle à l’époque mérinide

La madrasa, couramment transcrite médersa, est un établissement public ou privé destiné à l’enseignement, à la prise en charge et à l’hébergement d’étudiants non résidents au lieu où se trouve l’édifice. Le terme dérive du radical arabe d.r.s dont la deuxième forme, darrasa, signifie « enseigner ». En terre d’Islam, le premier centre d’enseignement était la mosquée. D’après le Hadith, le Prophète s’y tenait « entouré » d’une halqa, dispensant son savoir et répondant aux questions des auditeurs. La madrasa n’a pas supplanté la mosquée qui a parallèlement conservé sa fonction éducative.

Au Maroc, la madrasa en a plutôt été une annexe consacrée essentiellement à la résidence des talabas (étudiants). Les cours magistraux étaient dispensés dans les mosquées-universités dont les plus fameuses étaient la Qarawiyyine à Fès, fondée au IXe siècle par une femme, et la Yūsufiya à Marrakech, construite au début du XIIe siècle, sur ordre de l’émir almoravide ‘Ali ibn Yūsuf.

Historiquement, les premiers établissements du genre apparaissent en Égypte fatimide sous le nom de Dar al-‘Ilm (Maison de la Science), entendons centre de propagande de la « science » chiite.

Mais c’est un siècle plus tard et plus à l’est, en Iran, Iraq et Syrie, que le modèle adapté au Maroc est créé. L’initiateur en est Nizām al-Mulk, le vizir des sultans seljoukides. Une date clef : 1067. C’est l’année de l’inauguration de la Nizāmiya de Bagdad. L’objectif est clair : assurer les fondements du sunnisme par une institution durable, destinée à diffuser méthodiquement l’enseignement des quatre rites orthodoxes : shafi‘ite, hanbalite, hanafite et malékite. Ce programme se traduit architecturalement par l’existence, dans ces madrasas d’Orient, de quatre īwāns, salles latérales où se tiennent les séances de cours propres à chaque rite. Ceux-ci n’existent pas au Maroc, pays de rite exclusivement malékite. Une exception cependant : la Bū ‘Ināniya de Fès, dotée de deux īwāns ; mais c’est là une recherche architecturale sans rapport avec un enseignement multirituel.

La diffusion des madrasas s’est effectuée assez rapidement. Au XIIe siècle, on en comptait une trentaine à Bagdad. Le mouvement s’étend avec les Ayyūbides. Salāheddine, le fameux Saladin, est l’un des plus fervents bâtisseurs de ces édifices. Au Maghreb, leur itinéraire est passé par la Tunisie, au milieu du XIIIe siècle, pour atteindre trente ans plus tard le Maroc et la capitale des Mérinides, Fès. Là, le rythme s’accélère. En 679 H. (1280 ap. J.-C.), le sultan mérinide Abū Yūsuf fonde la madrasa Seffarine, première institution officielle du genre au Maroc. Environ soixante-dix ans plus tard, Fès est parée de sept madrasas mérinides dont la dernière et la plus importante fut la Bū ‘Ināniya (756 H./1355 ap. J.-C.). Parallèlement, au milieu du XIVe siècle, douze villes marocaines sont dotées chacune d’une madrasa. Le processus est déclenché.

L’exemple des Mérinides est suivi au XVIe siècle par leurs successeurs, les Sa‘adiens à qui l’on doit, entre autres, la madrasa Ben Yūsuf de Marrakech. Le mouvement se poursuit amplement à partir des dernières décades du XVIIe siècle, avec les Alaouites qui édifient d’importantes madrasas à Marrakech, Meknès, Rabat, et d’autres, plus modestes, ailleurs. À Fès, l’une des plus prestigieuses, celle de Cherratine, construite en 1670, est l’oeuvre du sultan Moulay ar-Rashīd.

Au Maroc, le phénomène n’est pas propre aux villes. L’existence dans le monde rural de centres d’enseignement est attestée dès le XIe siècle. Là, une multitude d’hommes de savoir, de dévots et de mystiques, tout en répandant l’Islam dans les campagnes, dispensaient un enseignement dans des sortes de couvents appelés ribats. L’expansion des madrasas proprement dites n’y devient cependant remarquable qu’à partir du XVIe siècle. Au départ, elle est liée à celle de l’ordre religieux de la Jazūliya. Par la suite, des particuliers et surtout des collectivités tribales ont fondé à leur tour des madrasas autonomes, sans l’aide de l’État. Plus tard, au-delà du XVIIe siècle, le phénomène devient si important qu’il attire l’attention et la sollicitude du pouvoir. À la différence des madrasas citadines, où se déploient des structures complexes et un décor souvent exubérant, celles du monde rural sont d’une simplicité toute rustique. Les matériaux sont pris sur place : pierre ou terre battue, chaux ou plâtre, roseaux pour les plafonds ou poutrelles en bois d’olivier ou de palmier ; une cour pavée, une modeste salle de prière, des ailes où se répartissent les chambrettes, petites cellules aux murs rarement enduits. Au sol, des nattes. Malgré leur aspect rudimentaire et si peu confortable, les madrasas rurales ont joué un rôle loin d’être négligeable dans la diffusion des sciences islamiques et l’arabisation des régions excentrées par rapport aux cités dites Hadariyas. Elles dispensaient un programme d’enseignement préliminaire qui préparait les étudiants originaires des montagnes, des plaines et des oasis du Sud à poursuivre des études supérieures à la Qarawiyyine ou à la Yūsufiya de Marrakech.

Voilà donc l’institution établie avec son cortège de traditions. Cependant, cela ne s’est pas déroulé sans provoquer de la part des contemporains des positions divergentes. Certains, proches du cercle du pouvoir, ont évidemment admiré l’oeuvre des sultans dont ils étaient les courtisans ; d’autres, très réservés, voire radicalement opposés au principe même de l’institution, n’ont pas manqué d’arguments pour la combattre.

Si aujourd’hui le visiteur est d’abord frappé par la qualité architecturale des madrasas citadines au Maroc et par l’extrême raffinement de leur décor, il ne peut s’empêcher de s’interroger sur leur importance et leur rôle dans le passé, en tant que centres d’enseignement et de diffusion du savoir.

La perception par l’élite savante qui les a vues se multiplier ne s’arrête point à la pure appréciation esthétique de l’édifice. Cette élite était alors plutôt préoccupée par d’autres aspects de la question.

En effet, l’institution en soi posait de graves problèmes d’ordre déontologique. Et ce n’est pas seulement en tant qu’ « innovation » qui devait être passée au crible des traditions islamiques établies… Il y avait donc lieu de poser certaines questions : dans quelle intention a-t-on construit les madrasas ? Quelle place le savoir « objectif » tiendrait-il dans ce cadre ? Comment procède-t-on au recrutement des maîtres et de quels maîtres s’agit-il ? Le rapport entre maîtres et disciples gardait-il sa valeur ou serait-il dénaturé ? Toutes ces questions et bien d’autres, relatives aux programmes d’enseignement, aux manuels d’étude, aux salaires et pensions, etc., ont été dès le début clairement posées. On s’est même inquiété de la nature des fonds affectés à la construction et au fonctionnement des madrasas, car, au regard de l’éthique islamique, il convient d’observer, dans ce cas, strictement le droit [fiqh].

Des remous enregistrés par les chroniques remontent aux années 1280. Ils sont liés à la première madrasa créée par Abū Yūsuf Ya‘qūb. Ils mettent aux prises un professeur, Ishāq al-Wariyaghli, et les « fuqahas de Fès » à propos de ce que les textes appellent « une question de fiqh » (mas’ala fiqhiya). Malgré le caractère énigmatique de la question, les textes laissent entrevoir qu’il s’agit des fonds utilisés pour la madrasa et d’autres aspects concernant l’origine d’une catégorie d’étudiants. Remous est bien le mot car les étudiants sont qualifiés par les textes de « talabātu al-Barbar ». Prenant partie pour le professeur, ils ont manifesté leur mécontentement.

Le sultan, avisé du désordre, donna l’ordre d’expulser et le professeur et les étudiants.

Auparavant, il y eut entre al-Wariyaghli et le sultan cette altercation lourde de conséquences: – « Je voudrais te poser trois questions », demanda le sultan.

Réponse du professeur : – « Inutile de les poser, car tu ne tiendras pas compte des réponses ».

La scène eut lieu dans la mosquée al-Qarawiyyine ; il est précisé qu’elle s’est déroulée « suite à la construction par l’émir Ya‘qūb de la madrasa sise à la qibla de Jāmi‘ al-Qarawiyyine ». La madrasa en question est bien celle de Seffarine.

Plus tard, une profonde controverse a été déclenchée par un éminent esprit, Muhammad al- bili, mort en 1356, et qui n’est autre que le maître du grand historien Ibn Khaldūn. Sa position à ce sujet est d’une étonnante clairvoyance. Les madrasas n’ont donc pas été accueillies par tous avec un même enthousiasme. Quant au débat initié par al- bili et poursuivi par d’autres, il n’a cessé de poser le problème fondamental de la transmission du savoir et celui du risque de sa monopolisation par une catégorie donnée. Sa quête, exigeant une motivation profonde de la part du disciple, celui-ci doit fournir l’effort d’aller vers le maître : car, dans les cultures traditionnelles, le savoir est une initiation, d’où les incessantes pérégrinations, et des maîtres et des disciples, puisque la science ne connaît de bornes ni dans l’espace, ni dans le temps. Plusieurs hadiths sont des recommandations dans ce sens.

Sédentarisée, abrégée et figée par l’écrit comme par la relation professionnelle entre enseignant et étudiant, la science risquait ainsi d’être asphyxiée. Est-ce là le mobile profond de l’inquiétude des savants qui ont dès le début émis des réserves quant à l’institution des madrasas ?.

De l’art des madrasas.

Livre ouvert, les madrasas mérinides se prêtent à une lecture qui relève de la pure délectation esthétique.

Comme dans toute oeuvre d’art, elles éveillent chez le visiteur cette disposition de l’esprit et de l’âme à recevoir une grâce sublime. Livre ouvert, il l’est, par l’art qui s’y offre au regard…, art de la calligraphie et de la poésie, celui des motifs floraux, des courbes et des spirales, des couleurs, des ciselures sur plâtre, bois, marbre, mosaïques de l’harmonie des volumes et de « ces obscures clartés qui tombent des étoiles »… Dans ces madrasas, le regard est d’abord attiré par une eulogie reproduite à l’infini, sur tous les supports en cursive aux lignes arrondies, en coufique aux angles droits, aux hampes fleuries : Al- ‘ fiya ad-Dā’ima (Le salut éternel, faveur divine). Eulogie partout reprise : sur les feuilles de bronze qui habillent les portes d’entrée, sur le plâtre de frises qui courent au long des corridors et des galeries des patios ; elle encadre les arcs, donne du relief aux panneaux de cèdre, se multiplie sur les carreaux excisés du zellij… En caractères coufiques, l’eulogie est sobre. Son aspect, parfois rigoureux, est atténué par des pousses végétales qui lui donnent des ailes. La symétrie, règle absolue du coufique, conserve ici ses droits et la graphie se propose de demeurer lisible au premier regard. En cursives, l’eulogie comme les autres inscriptions, s’adresse d’abord à l’oeil et le texte, bien qu’important pour la lecture, cède la place à l’art visuel. Là, les lettres, gagnant en souplesse, trouvent leur plaisir à se contracter ou à s’allonger, à onduler ou à s’arrondir, pour s’entrelacer en un enchevêtrement sans fin. C’est le règne de l’arabesque dans toute sa splendeur. Aurait-on alors trouvé meilleur mot, meilleure expression que ce « Salut éternel » – Al-‘ fiya ad-Dā’ima – dans ces lieux voués à l’étude et à la contemplation ? Il est un autre nom aussi présent sur les murs : Allah. Le nom divin n’est cependant pas inscrit partout. Calligraphiquement traité avec le respect religieux qui lui est dû, il est gravé de préférence sur les hautes frises et l’on doit porter le regard vers le ciel pour le lire. Son règne est absolu dans les salles de prière. Partout où il figure, il est associé à l’un de ces deux attributs, al-Mulku li-Llāh, al-‘Izzu li-Llāh. Il n’y a de royauté et de puissance que par Dieu.

Humilité, crainte révérencielle du Créateur. Vanité de toute oeuvre qui n’est pas placée sous sa protection.

Tout se passe comme si les fondateurs des madrasas avaient, présent à l’esprit, ce verset coranique : Bâtirez-vous sur chaque colline un monument pour vous divertir ? Ces eulogies dédiées à Dieu sont exécutées en caractères coufiques. Elles s’étalent en frise où sont soigneusement enchâssées dans des cartouches. Parfois, elles sont reproduites en palindrome ; l’eulogie entière se reflète ainsi, à elle-même, comme en un miroir. Subtilité extrême et d’une portée symbolique qui ne laisse point de doute quant à l’importance qu’on veut lui accorder. La recherche en ce sens est suprême, notamment sur les panneaux en moucharabieh dressés entre les patios et les vestibules d’entrée. Là, l’inscription dédoublée, se développe au coeur des panneaux.

Sa beauté est rehaussée par la noblesse du matériau, le bois de cèdre au parfum de résine. Ajourée, elle condense la lumière et devient transparente. En miroir, elle évoque le créateur et la création.

Situés exactement dans l’axe du mihrab, ces panneaux encadrés par les arcs d’accès aux patios font pendant à ceux des salles de prière. Ainsi, de part et d’autre, les arcs se reflètent aux heures privilégiées de la lumière, dans ces autres miroirs que sont les bassins et les vasques placés au centre des patios. Cette symétrie, de nature pourtant claire, engendre le mystère par la grâce de l’eau, de l’ombre et de la lumière.

Toutes les madrasas sont ainsi conçues : l’abstraction géométrique s’y trouve constamment transformée en mystères, mystère des caractères coufiques qui deviennent fleurs ; mystère des lettres cursives traitées résolument en spirales, mystère introduit dans l’ambiance générale par les multiples puits de lumière qui bouleversent la disposition rigoureuse des cellules autour des courettes et celle, très rectiligne des corridors.

Au niveau des motifs décoratifs, il est un autre élément qu’on ne saurait passer sous silence, la palme. Palme simple ou double, seule ou liée à ses rameaux, ondulée ou étirée… Combinée avec d’autres motifs, elle constitue l’élément permanent dans l’ornementation marocaine en général, dans celle des madrasas en particulier. À propos de la palme qui « règne à des hauteurs où le regard devrait abdiquer », écrivait H. Terrasse, on ne peut résister à citer ces vers du « Prince des poètes », Saint John Perse : Palmes… ! […] Et les hautes racines courbes célébraient l’en-allée des voies prodigieuses, l’invention des voûtes et des nefs… Incorporée à la lettre arabe, la palme engendre le Tawrīq, « art de la feuille », et le Tachjīr, « art des rameaux », deux langages fondamentaux dans l’art marocain, depuis son apparition aux premiers siècles de l’Islam jusqu’à nos jours.

Ainsi les madrasas… Nul doute que bien d’autres aspects pourraient être abordés : ceux qui s’attacheraient à en décrire l’architecture, l’agencement des plans, les rapports entre les volumes, les multiples supports des décors… Mais, ainsi les madrasas… En dire plus, occulterait leur message essentiel, celui porté par les lettres qui y sont gravées.

Réactions à l’institution des madrasas au temps des Mérinides Nous avons signalé que l’institution des madrasas n’est pas passée inaperçue : éloges dithyrambiques des courtisans et des clercs de l’entourage des sultans fondateurs ; réserve de faqihs considérant l’institution sous l’angle d’une « innovation recevable » (Bid‘a mahmūda) ; opposition catégorique d’intellectuels plus indépendants qui n’ont pas manqué d’arguments en avançant diverses raisons : dilapidation des fonds de la Communauté (al-Umma), dépenses exorbitantes à des fins ostentatoires condamnables, quête de la science par les pérégrinations, opposée à la sédentarisation liée au cadre bâti et fixe des madrasas. Par delà ces considérations, se profile une position politique à peine voilée. En effet, les protagonistes étaient bien conscients de l’objectif qui vise le contrôle par le Makhzen de ses futurs cadres, à travers des enseignants désignés et rétribués, et des programmes institutionnalisés. De tels cadres seraient appelés à être fondus dans le monde du pouvoir.

Les textes historiques qui suivent se proposent de présenter les réactions d’Ibn Marzūq, historiographe du sultan Abū al-Hassan, et celle de son contemporain al- bili, savant en sciences exactes et maître d’Ibn-Khaldūn. Ibn Marzūq, né à Tlemcen vers 1311, a vécu une large partie de sa vie à Fès aux côtés du sultan mérinide Abū al-Hassan dont il était l’historiographe officiel, et à qui il dédia son oeuvre majeure, le Musnad, consacrée exclusivement à glorifier la vie et le comportement « exemplaires » de son maître.

Narration d’Ibn Marzūq : Nous avons déjà dit que la construction de madrasas était chose inconnue au Maghrīb, jusqu’au moment où notre Maître le Guerrier pour la Foi, le Roi Pieux (Abū-Yūsuf) construisit celle d’al-Halfa’iyn (actuelle as-Seffārīn) dans la ville de Fès, sur la rive d’al-Qarawiyyine. Puis, notre Maître le sultan Abū- Sa‘īd, père de notre Imām (Abū al-Hassan) – Allah l’agrée ! – construisit la madrasa d’al-‘Attārīn et la madrasa de la Ville-Blanche avec le concours de son fils [...]. Celui-ci ensuite fonda [...] une madrasa élégante à la ‘Idwa, c’est-à-dire la rive d’al-Andalus à Fès ; c’est la madrasa dite du bassin (as-Sahrīj).

Il y édifia la grande madrasa (disparue) dite Madrasat al-Wādi, c’est celle qui traverse par le milieu la principale branche de la rivière de la ‘Idwa ; ensuite, la madrasa qui se trouve au nord de la Mosquée d’al-Qarawiyyine et que l’on nomme Madrasat Misbāh, du nom du personnage qui y fut officiellement chargé d’enseigner [...].

Puis Abū l-Hasan – Allah l’agrée ! – édifia dans chaque ville du Maghreb Extrême ou Moyen de pareils monuments ; il construisit d’abord à Taza la belle madrasa qui s’y trouve, et à Meknès, Salé, Tanger, Sebta, Anfa, Azemmour, Safi, Agmāt, Marrakech, al-Kasr al-Kabīr, al-‘Ubbād, en dehors de Tlemcen [...], à Alger, des madrasas d’importances différentes suivant chaque ville [...]. Il faut ajouter les fondations de main-morte qu’il y constitua pour la conservation et l’entretien de chacune de ces madrasas dans les meilleures conditions, pour les réparations, les appointements des professeurs et de leurs répétiteurs, du gérant, du portier, du muezzin, de l’imâm, du nâdir, des témoins – notaires, des serviteurs ; ce qui restait une fois ces frais payés était mis de côté.

Cette énumération permet au lecteur de se rendre compte des sommes qu’il fallait pour chacune de ces madrasas. Avec cela, il déposa à titre de hubs dans la plupart de ces établissements un choix de livres précieux et d’ouvrages utiles : ce fut assurément la cause pour laquelle durant son règne la science fut florissante et le nombre des savants augmenta ! La récompense du maître et du disciple pèsera dans la balance de ses bonnes oeuvres… Ibn Marzūq, in Lévi-Provençal, E., « Un nouveau texte d’histoire mérinide, le Musnad d’Ibn Marzūq », Hesperis, V (1925).

Et position d’al- bili : Les madrasas nuisent à la science parce qu’elles attirent les étudiants par la pension et les avantages matériels qu’ils y reçoivent. C’est pour ces raisons qu’ils se tournent vers les maîtres que le gouvernement désigne pour diriger ces écoles et y enseigner, ou bien vers les maîtres qui consentent à se soumettre à la volonté des gouvernants. Voilà ce qui détourne les étudiants des maîtres représentant la véritable science, de ceux que l’on n’appelle pas dans les madrasas ; car si le gouvernement les y appelait, ils refuseraient ; ou bien s’ils acceptaient, ils ne rempliraient pas (avec docilité) la mission que l’on attend d’autres (moins indépendants) qu’eux.

Al-Abili ( XIVe siècle), cité d’après P. Nwyia, Ibn ‘Abbad de Ronda (1332-1390) : un mystique prédicateur à la Qarawiyin de Fès, Beyrouth, 1971.

La madrasa Bū ‘Ināniya décrite par Léon l’Africain Parmi les sept madrasas édifiées par les Mérinides à Fès, la Bū ‘Ināniya, du nom du sultan bâtisseur Abū ‘Inān (1348-1358), dernière en date, est particulièrement remarquable tant par son plan que par ses riches décors. En plus des chambres d’hébergement des étudiants, elle est dotée d’une mosquée-jāmi‘, d’un minaret et d’une chaire pour la prière commune du vendredi. L’originalité du plan se manifeste encore par l’existence de deux īwāns, niches flanquant les galeries latérales du patio à la manière des bhous/alcôves des riads traditionnels. Ces niches semblent dériver des īwāns attestés dans les madrasas d’Orient où ils étaient destinés à l’enseignement des quatre rites sunnites. Dans le cas de la Bū ‘Ināniya, ils abritaient des chaires d’enseignement exclusivement consacrées au rite malékite. Ce chef d’oeuvre de l’art mérinide a été récemment sauvegardé et restauré par les soins de la Fondation Benjelloun Mezian.

L’intérêt de la description de Léon l’Africain réside essentiellement dans le fait qu’il a pu observer en détail les décors, les couleurs originales des mosaïques, les boiseries, les bronzes et la chaire à prêcher de ce monument, dès la fin du XVe siècle, avant les détériorations que le monument a subies par la suite.

« Il existe dans Fez onze collèges d’étudiants, très bien construits, avec de nombreux ornements de mosaïque et de bois sculpté. Certains sont pavés de marbre, d’autres de majolique. [...] L’un d’eux est réellement admirable de dimensions et de beauté. C’est celui qu’a fait bâtir le roi Abu Henon (Abū ‘Inān). On y voit une splendide fontaine de marbre. [...] Ce collège est traversé par un cours d’eau qui coule dans un petit canal. [...] Il y a trois galeries couvertes d’une incroyable beauté autour desquelles des colonnes octogonales sont liées au mur, colonnes ornées de diverses couleurs. Entre chaque colonne, les arcs sont revêtus de mosaïque, d’or fin et d’azur. [...] Entre ces galeries et la cour, on a placé des treillages de bois en manière de jalousies si bien que ceux qui sont dans la cour ne peuvent voir les personnes qui sont dans les chambres donnant sur ces galeries. [...] Dans tout le collège, le long de ces murs, le revêtement porte des inscriptions en vers mentionnant la date de la fondation du collège.

[...] Elles sont écrites sur des carreaux de majolique en grandes lettres noires sur fond blanc de telle sorte qu’on peut les lire de très loin. Les portes du collège sont toutes de bronze finement travaillé avec beaucoup d’ornements et les portes des chambres sont en bois sculpté. Dans la grande salle réservée aux prières existe une chaire à neuf marches, entièrement faite d’ébène et d’ivoire, qui est un meuble véritablement admirable ».

Léon l’Africain, Description de l’Afrique, Paris, 1956.