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l’âme du Maroc

Au tout début était : La dynastie idrisside

La dynastie Idrisside est considérée aujourd’hui comme la première dynastie chérifienne, qui inaugure le cycle des dynasties qui ont régné sur le Maroc. L’histoire officielle en a fait la fondatrice de l’État marocain. Pourtant son histoire est loin d’être complètement connue.

Enjolivée, voire idéalisée par le Rawd al-Qirtās, d’Ibn Abī Zar‘ al-Fassi, cette chronique continue de fasciner les historiens, les hommes politiques et les descendants des chorfas Idrissides. Pourtant la vulgate historique ne met l’accent que sur Idris I et son fils Idris II, qui auraient contribué à une oeuvre d’islamisation sans précédent, qui ont fondé la ville de Fès et l’État marocain.

Les textes anciens qui ont traité de l’histoire de cette dynastie, en grande partie orientaux, évoquent les Idrissides comme les continuateurs de l’islamisation du Maghreb. Les premières conquêtes arabes de ‘Oqba ibn Nāfi‘ à Mūsa ibn Nusayr, bien que célébrées par les textes orientaux, n’ont été qu’éphémères, comme le montreront plus tard les textes locaux tardifs. En effet, après la conquête de ‘Oqba ibn Nāfi‘ dans un raid, considéré par les historiens comme une première reconnaissance, entre 680 et 682, suivi par le vaste mouvement engagé par Mūsa ibn Nusayr, le Maghreb se révolte (Révolte kharijite) en 740 se détachant de l’autorité du califat d’Orient.

La révolte kharijite était une révolte politique qui n’avait pas remis en question les acquis religieux, malgré leur faible impact sur la société amazigh. Les kharijites, allaient, au contraire, contribuer à sauvegarder l’Islam au Maghreb, même si de nombreuses sectes hétérodoxes, parfois même hérétiques comme les Barghwata, subsistaient encore, alors qu’en Andalousie les Omeyyades avaient réussi à sauvegarder leur dynastie et à se détacher du pouvoir central d’Orient devenu abbasside.

C’est dans ce contexte que Idris ibn ‘Abdullāh, plus connu sous le nom d’Idris I, descendant de la branche de ‘Ali, par Hassan ibn Hassan ibn ‘Ali, arrivait au Maroc, selon la vulgate classique. Il fonde la première dynastie arabe, chérifienne, qui allait gouverner le pays pendant près d’un siècle et demi (de 788 à 925).

Peu de textes nous sont parvenus de la période idrisside. Nous les retrouvons souvent cités par les auteurs des ouvrages postérieurs. Les historiens du XIV e siècle, de l’époque des Mérinides, se sont attachés à construire une histoire de la dynastie idrisside et à raconter l’arrivée d’Idris Ibn ‘Abdallah et la gestion du pays par ses descendants, avec la fondation d’une nouvelle capitale : Fès, et d’une grande Mosquée, la Qarawiyyine, tout en glorifiant leur oeuvre et en minimisant les conséquences de leur décadence, à partir de textes antérieurs. L’origine chérifienne des Idrissides est alors à la base de toute leur histoire. Elle est bien mise en avant par les textes anciens, surtout orientaux comme celui d’Ibn al-Faqīh al-Hamadāni (Xe siècle) et celui de Tabari (m. 964) Kitāb al-Masābīh, celui de Muhammad ibn ash-Shamhari, puis plus tard par les textes andalous comme celui de Ahmad ibn Sahl ar-Rāzi (Xe siècle), Akhbār Fakh, ou celui d’al-Bekri (mort en 1094) Al-Massālik, puis par les écrits locaux, comme ceux que cite al-Bekri, et le Rawd al-Qirtās d’ Ibn Abī Zar‘ (XIVe siècle). Tous soulignent les liens généalogiques qui rattachent les Idrissides à ‘Ali, le cousin du Prophète et insistent sur leur origine arabe, quraïchite.

L’histoire que proposent les biographies d’Idris ibn ‘Abdullāh, construite pour la plupart sur le récit d’al-Bekri, qui lui-même se réfère au livre (perdu) d’Abū al-Hassan ‘Ali ibn Muhammad ibn Soulaymān al-Nawfali, (début du Xe siècle), commence par la fuite de ce dernier après la bataille de Fakh, accompagné par un personnage énigmatique, Rashīd, qu’on retrouve dans toutes les versions.

Ibn al-Faqīh al-Hamadāni (IXe siècle) dans son Kitāb al-Buldān rapporte le même récit.

Al-Bekri raconte à partir du texte d’al-Nawfali qui aurait recueilli ses renseignements de descendants idrissides du Xe siècle, (at-tālibiyne) , qu’après bien des aventures Idris ibn ‘Abdullāh serait arrivé au Maghreb représentant son frère Yahyā. Mais que celui-ci aurait accepté de recevoir la Baï‘a de la Grande tribu des ‘Awraba de la région de Oualili.

Son appartenance à la famille du Prophète aurait beaucoup joué en sa faveur et lui aurait permis de rassembler les tribus Amazigh de la région, les plus puissantes, comme les ‘Awraba, ensuite les Zénètes dont les Zouagha, les Lwata et les Zwawa, pour construire une vraie dynastie. Mais étant descendant de ‘Ali et faisant partie des shiites qui avaient refusé l’autorité des Abbassides, l’Imam avait fait hésiter les historiens sur son madhab : était-il chiite ou malékite ? Comment est-il devenu malékite ? Ces derniers, après de grands débats, ont finalement une explication qui à rallier de nombreux suffrages. Initialement, selon les sources du Xe siècle, Idris I était zaydite, une branche très modérée du chiisme. Ce qui lui aurait facilité l’adoption du malékisme qui arrivait au Maroc à la même époque, selon la version classique de l’histoire des Idrissides.

Il s’attacha dès le début à peupler sa capitale en accueillant des émigrés Andalous et Kairouanais.

Certains historiens y voient sa volonté d’équilibrer le peuplement de sa capitale et de son entourage en y injectant des populations plutôt arabes. Il lança de nombreuses incursions pour islamiser bilad Fazaz (le Moyen Atlas) et les forteresses des Ghiata dans l’Oriental, comme le souligne le Rawd al-Qirtās. Même si son règne ne dura pas longtemps, il laissa à ses héritiers un début d’État.

Son héritage symbolique allait permettre de mettre en place une vraie dynastie avec son administration, son armée et sa monnaie. Les Abbassides qui ne voulaient pas qu’une nouvelle dynastie prenne place en Occident, le firent assassiner, au sommet de sa gloire d’imam, le 14 Octobre 793, alors qu’il attendait, selon le Rawd al-Qirtās, un enfant de Kenza dont les textes ne disent pas grandchose, sauf qu’elle était berbère. Et comme peu d’informations sont définitivement établies dans l’histoire de cette dynastie, celle de Kenza reste en débat. Les uns la considèrent comme la fille d’Isaac al-‘Awrabi, d’autres qu’elle est originaire des tribus des Nafza. Léon l’Africain (al-Wazzān) la considère comme une Goth. Autre symbole de l’union entre berbères et arabes que jusqu’à aujourd’hui, les livres d’histoire, voire les manuels scolaires, mettent en exergue.

Quelques mois après le décès du père, le fils était né. Il ne reçut à son tour la ba‘ya des tribus de la région que vers Octobre 803, après une Régence de Rashīd dont on parle peu dans les textes, sous le nom d’Idris II, alors qu’il n’avait pas encore onze ans, selon la tradition historique du Rawd al-Qirtās.

Le règne d’Idris II sera marqué, dans la tradition historique, par la fondation de Fès, en 808.

Certes les historiens du début du XXe siècle, à partir de 1938, sous l’impulsion de L. Provençal, G.

Colin et à partir des conclusions de Henri-Michel La Voix et de celles de Brèth qui ont étudié les monnaies idrissides, ont nuancé voire remis en question cette affirmation pour accorder au père (Idris I) le privilège d’avoir construit un noyau sur la rive droite avant sa mort. Certains chercheurs aujourd’hui proposent d’autres hypothèses qui restent à confirmer.

En tous les cas, Idris II fit de Fès, dont il aurait construit la rive gauche, (‘Adwat al-Qarawiyyine) sa capitale politique. L’histoire de ce prince idrisside lui gardera d’avoir accueilli des familles d’Ifriqiya et d’Andalousie (8000 familles de Cordoue) pour équilibrer le peuplement de la ville, comme l’a fait son père avant lui.

Un makhzen fut mis en place pour gérer les affaires quotidiennes mais aussi pour soutenir les expéditions du souverain qui avait à coeur d’élargir son royaume. Nafis et Aghmāt dans le Sud du pays furent conquises. Tlemcen, qui avait déjà été conquise par son père, et toute sa région dont la conquête dura trois ans et demi, fit ainsi partie de son royaume. Enfin les prémices d’une organisation de l’État dans sa forme rudimentaire sont relevées par les textes anciens. Selon Ibn Sahl ar-Rāzi , Idris II organisa les prélèvements des impôts, perfectionna la frappe de la monnaie et la répartition des métiers à Fès surtout. La description idéalisée qu’en fit le Rawd al-Qirtās est tout à fait étonnante par les détails qu’il fournit.

Fès devient ainsi, en plus de la capitale politique, la base centralisatrice de l’administration idrisside avec six diwāns : le ministériel, ceux du secrétariat, de la justice, des impôts, de l’armée et enfin, celui de la frappe des monnaies.

À sa mort en 828, Idris II a laissé un vaste royaume pacifié, même s’il n’était pas arrivé à vaincre les Barghwata qui occupaient toujours le Tamesna et qui restaient une menace permanente.

Ce sont probablement ces menaces sur les « frontières » du royaume ainsi que les interventions intéressées des Omayyades d’Espagne, qui poussèrent Kenza, la mère d’Idris II, à conseiller à son petit-fils Mohamed de nommer ses frères à la tête des principales provinces comme des oualis.

Mohamed gardera le titre d’Imam ainsi que Fès et Oualili et en fait le centre du Royaume. Al- Qassim aura al-Habt et les villes du Nord (Tanger, Basra, Sebta et Arzila). ‘Omar gardera la région des Ghmara ainsi que Tétouan. La part de Yahyā ne semble pas avoir fait l’unanimité des historiens : pour Ibn Abī Zar‘, il aurait hérité de Larache et de la région d’Arzila et selon al-Ya‘coubi le Tadla et le Dra. Hamza héritera des anciens territoires que le frère d’Idris I, Soulaymān, dirigeait, soit le Zerhoun et Tlemcen. ‘Issa allait garder la région de Salé qui jouxte la région des Barghwata.

Ahmed hérita de Meknès, le nord du Moyen Atlas et le Tadla. Dawūd du pays des Hawara et des Miknassa et ‘Abdullāh, jbel Lamta au nord de Fès ainsi que Aghmāt et Nafis.

Mais cette procédure de gestion ne manquera pas de créer de nombreux problèmes. Ce partage, comme l’ont qualifié de nombreux historiens, loin de faciliter la gestion de l’État, contribua probablement à sa décadence. Si l’histoire des princes qui ont hérité de Fès et de sa région, Mohamed, Yahyā I, Yahyā II, Ali ibn ‘Omar, Yahyā III apparaît de temps à autre dans le peu d’informations dont on dispose sur les Idrissides, l’histoire des autres princes n’a pas eu la même chance. Et même pour ceux dont on connait quelques bribes d’histoire, les textes sont très évasifs. Al-Bekri, au XIe siècle avait toutes les peines du monde à construire cette histoire. Lorsque, au XIVe siècle, Ibn Abī Zar‘, écrivit l’histoire de ces princes, il ne disposait que de peu d’informations. Il consacre quelques lignes à chaque prince, jusqu’au petit fils d’Idris II. Arrivé au chapitre sur Yahyā, il bifurqua sur celle de Fatima al-Fihrya et de la Qarawiyyine. Il fait passer leur histoire avant celle de Yahyā ibn Mohamed. Pourtant c’est à ce dernier que la découverte d’un panneau de bois, découvert dans les années 1960, portant une inscription qui précise que la Mosquée Qarawiyyine a été construite par Daoud Ibn Idriss. Certains historiens, notamment des orientalistes, avaient alors remis en question la version d’Ibn Abī Zar‘.

En fait l’auteur du Qirtās a sur de longues pages évoqué Oum al-Banine Fatima al-Fihrya et la construction de la Mosquée Qarawiyyine, avec la certitude que l’on connait à Ibn Abī Zar‘.

Même si le débat reste encore ouvert, les historiens locaux acceptent le verdict de l’inscription, sans écarter la version du Qirtass. Ils vont trouver une explication qui réponde aux deux versions. Celle qui les rends complémentaires : c’est sous le règne de Daoud Ibn Idriss que la Mosquée a été construite, mais par Fatima al-Fihrya.

Peu de textes de l’époque idrisside évoquent l’histoire de cette période trouble qui a connu l’intervention des deux encombrants voisins des Idrissides : les Omayyades et les Fatimides. Mais l’on devine à travers les légendes et les textes postérieurs, du XIe et XIIe siècle, que ces princes, bénéficiant du prestige de leur origine, ont continué l’oeuvre de leur père et grand-père, d’islamisation, surtout que de vastes espaces restaient aux mains de tribus encore hérétiques.

Mais la dispersion des centres de décision, la multiplicité des chefs et des politiques, la concurrence entre les principaux princes, ajoutés aux nombreux défis auxquels ils ont dû faire face, ne permirent pas d’enrayer la décadence de la dynastie.

Lorsque Yahyā II, petit-fils de Mohamed ibn Idris II fut chassé du pouvoir, Fès fut investie d’abord par les Madiouna kharijites et ensuite par les Fatimides en 918, sous le commandement de Mçala ibn Habbūs al-Miknassi.

La dynastie prit fin avec l’intervention des Zénètes et surtout celle de Mūsa ibn Abī al-‘ fiya des Miknassa en 925, qui allait déclencher une farouche campagne d’extermination des Idrissides qu’il n’arrêtera qu’après l’intercession des grands amghars des tribus de la région, en faveur des chorfas qui avaient commencé à vivre dans la clandestinité. Les Idrissides se seraient ainsi fondus dans les tribus et, semble-t-il, ils avaient caché leur nisba, pendant longtemps. Ils garderont, pourtant, un prestige intact. Ils resteront toujours à l’affût d’une nouvelle occasion de reprendre le pouvoir, comme à la fin des Mérinides, ou au moins de l’influencer. Leur qualité de Chérif sera toujours leur capital. Ce que les grands pôles mystiques, chefs des tariqas, comme Moulay ‘Abdeslam ibn Machich et son disciple ash-Shadily ne vont pas hésiter à mettre en avant. Le Mausolée de Moulay Idris à Fès témoigne encore de leur prestige d’antan.